Ellias a 10 ans, mais il en paraît 14 à cause de sa taille. Ses parents sont venus passer une semaine chez moi car ils aimeraient que leur fils apprenne à prendre plus d’initiatives. Elle me dit : “Je veux bien attendre, mais si j’attends cela peut prendre 1,5 h avant qu’il fasse autre chose qu’être assis sur le canapé en tripotant son t-shirt.”
Si vous vous posez la même question et que votre enfant a du mal à se mettre à des activités, ce newsletter est pour vous.
Ellias rentre dans la salle de jeux et il a une ardoise sur laquelle il gribouille. En fait, il y a un jeu qu’il fait spontanément et pour lequel il prend des initiatives : c’est de gribouiller sur une feuille ou une ardoise. Sa mère me dit qu’elle aimerait beaucoup qu’il fasse des dessins, comme il en faisait avant, parce que là, tout ce qu’il fait c’est gribouiller.
Après l’avoir laissé gribouiller pendant un moment, elle lui enlève le papier et lui pose la question “Avec quoi veux-tu jouer ?, tu veux jouer avec la maison ?” Ellias répond : maison. Et sa mère prend la maison Playmobil qui se trouve dans ma pièce. Pourtant, Ellias ne vient pas s’asseoir avec elle, donc elle lui dit de venir s’asseoir avec elle. Une fois assis, il ne joue pas avec les bonhommes ou les meubles qui sont dans la maison, donc sa mère lui donne la consigne “Prends le bonhomme, mets-le sur la chaise, ils vont manger.” Ellias suit les consignes, mais sans plaisir, et je leur demande d’arrêter le jeu.
J’ai vu qu’effectivement Ellias a énormément de mal à prendre des initiatives. Je demande donc à sa mère de faire un essai : que se passe-t-il si elle l’imite cet après-midi ? Elle me raconte qu’elle l’a fait très longtemps, mais qu’il a l’air de ne pas aimer cela. Même si elle l’imite, il ne la regarde pas. Il ne commence pas non plus à faire des choses pour que sa mère l’imite (ce que font beaucoup d’enfants quand ils s’aperçoivent que leurs parents les imitent et qu’ils ont tout le contrôle !).
Malheureusement, Ellias continue à faire ses propres gestes de stimulations : il prend le bas de son t-shirt entre deux doigts et avec l’autre main le fait bouger. Je me dis que cet enfant a vraiment du mal à prendre des initiatives, il ne semble plus savoir comment les prendre, ou il n’a pas du tout envie d’en prendre. C’est peut-être trop difficile, quand on peut faire tout ce qu’on veut.
C’est pour ça que je décide de réduire la difficulté de la tâche et de structurer l’environnement un peu. Je mets plein de bacs transparents sur une grande table. Là-dedans il y a des jeux faciles comme un grand puzzle, de la pâte à modeler, des magnets et du coloriage que j’ai fabriqué moi-même. J’espère l’amener à colorier au lieu de gribouiller. J’espère qu’en mettant plein d’activités devant lui dans des bacs transparents, Ellias va pouvoir prendre des initiatives.
Je demande à son beau-père de s’asseoir avec lui à la grande table avec une dizaine de bacs en 4 petits tas sur un coin de la table (elle est très grande). Je dis : “S’il ne choisit rien, tu poses deux bacs (activités) devant lui et tu attends jusqu’à ce qu’il prenne un des deux bacs. Ne lui pose pas de questions et ne nomme pas non plus les activités, car il risque de répéter le dernier mot qu’il entend.”
Le beau-père confirme. Il me dit qu’ils ont arrêté de poser des questions car Ellias a tendance à répéter la dernière chose proposée, ce qui ne correspond pas toujours avec ce qu’il veut véritablement.
À notre surprise, dès qu’Ellias et son beau-père s’assoient, il voit les pièces du puzzle qu’il a fait hier et il prend les pièces et commence à le faire ! Ils font le puzzle. Puis, une fois terminé, on attend.
J’attends car je veux voir s’il veut regarder son puzzle ou s’il veut le ranger. J’ai laissé la boîte du puzzle sur la table pour que ce soit extrêmement facile pour lui de le ranger, mais il ne le range pas.
Entre-temps, il a vu la boîte avec la pâte à modeler et il l’ouvre et sort la pâte à modeler. On est trop heureux et je montre à son beau-père comment il peut le rejoindre dans son jeu avec la pâte à modeler.
Encore une fois, je laisse le bac sur la table devant lui et j’explique à son beau-père que je le fais pour qu’Ellias puisse ranger la pâte à modeler quand il ne veut plus jouer avec. Je veux qu’Ellias prenne l’initiative de ranger les choses quand il n’en veut plus au lieu d’émettre des comportements inadaptés. (Ça pourrait être : rester passif, ne plus coopérer, émettre des mots qui n’ont pas de sens ou faire des stéréotypies.)
Je range la pâte à modeler car je veux continuer et on n’a pas beaucoup de temps, et je lui fais choisir entre deux dessins. Il choisit le soleil et le colorie très bien ! Nous sommes heureux de voir qu’il le fait aussi bien.
Je mets le bac avec les magnets et un autre dessin devant lui. Il prend tout de suite le bac avec les magnets et il sort les magnets. Il les a déjà vus hier et il adore les triangles. Il aime les entasser.
Je fais du coaching du beau-père, et je lui dis :
“Observe d’abord ce qu’il fait de lui-même.”
On voit qu’Ellias prend les triangles du bac et les met les uns sur les autres, cette fois-ci en longueur et non pas en hauteur comme hier. Il cherche les triangles dans le bac et les ajoute à son tas jusqu’à ce qu’il prenne deux triangles qui semblent pareils mais qui ne le sont pas, ils n’ont pas deux angles identiques comme les autres…
Je dis à son beau-père de le laisser faire. Même s’il essaye plusieurs fois de suite de les mettre les uns sur les autres et que ça ne marche pas, de le laisser faire, car c’est ainsi qu’il apprendra que ce n’est pas la même forme !
J’explique à son beau-père qu’en ce moment, Ellias est en train de jouer et d’explorer, et qu’il est important de lui laisser le temps de le faire, comme on le ferait avec n’importe quel enfant de 2 ans et demi.
J’ajoute : “Lorsqu’un enfant présente un retard, on a souvent tendance à vouloir qu’il fasse davantage, alors qu’en réalité, lui aussi a besoin de temps pour franchir, à son rythme, les différentes étapes de son développement.”
Je demande à son beau-père d’ajouter des mots à ce qui se passe. Donc, à chaque fois qu’Ellias met un “bon” triangle, de dire : “Oui ! Ça marche !” et puis, quand il met celui qui n’est pas pareil, de dire : “Oh non, ça ne marche pas !”
Je pourrais aussi dire “pareil / pas pareil”, mais je me dis que c’est encore trop difficile comme concept. Mieux vaut rester avec “ça marche / ça ne marche pas”.
Le beau-père le fait, même s’il doit le dire au moins une dizaine de fois, tout en restant motivé ! Ellias semble avoir mis toutes les grands triangles ensemble, son beau-père en trouve encore un. Il sourit car il anticipe le bonheur chez Ellias quand il va s’en rendre compte. Il donne le bon triangle à Ellias qui est content d’avoir un autre bon triangle et il l’ajoute à la rangée. Il y a un moment de plaisir partagé, trop chouette.
Je cherche et je trouve d’autres “bons” triangles. Je sais qu’Ellias n’a pas encore fini de tenter de mettre les deux “mauvais triangles” dans sa rangée. Du coup, j’en profite pour qu’Ellias fasse un peu plus attention à son beau-père. Je demande à son beau-père de prendre un bon triangle et d’attendre le moment où Ellias se rend compte que celui qu’il essaye de mettre (le mauvais triangle) ne marche pas, et à ce moment-là dire : “J’en ai un qui marche !”.
Attendre qu’il se dirige vers son beau-père qui est juste assis à côté de lui, et de lui donner à ce moment-là.
Ça marche et Ellias commence à rire, ils passent un moment de complicité et de plaisir partagé, c’est chouette !
Ellias rit aussi quand son beau-père répète tout le temps les mêmes mots “ça marche !” ou “oooo, ça ne marche pas !”. Il commence même à répéter les phrases de temps en temps. On lui donne parfois des mauvais triangles et parfois des bons. Il a maintenant un tas de 4 mauvais triangles et plus de 20 bons triangles.
Après 15 minutes de jeu avec les magnets, Ellias baille et commence à répéter un mot qui n’a pas de sens. Le bac pour ranger est à côté de lui, mais il ne range pas. Je prends les triangles, je les range lentement dans le bac devant lui et je dis : “Tu veux arrêter ”
Si j’ai raison, il rangera également les magnets. S’il veut toujours jouer avec, il les reprendra !
C’est ainsi qu’on saura s’il veut continuer à jouer ou pas, sans poser de questions.
Après, Ellias choisit encore une fois de colorier un autre dessin que j’ai fait. Je remarque qu’il ne s’arrête pas tout seul. Si je ne lui enlève pas le crayon, il commence à gribouiller sur la feuille une fois qu’il a fini de bien colorier l’intérieur. J’explique que cela aussi, c’est un manque de prise d’initiative : il est devenu dépendant des autres pour arrêter la tâche, comme on l’a déjà vu avec les magnets.
J’espère qu’avec les bacs d’où sortent les jeux qui restent sur la table, Ellias va apprendre à mettre les activités dedans quand il n’en veut plus. À voir : c’était la première fois, on a encore 3 matinées pour travailler cela.
✨ Une réflexion après cette séance
Je me suis dit que prendre des initiatives, ce n’est pas “rien”. C’est une vraie activité cognitive, qui demande beaucoup d’énergie.
Pour un enfant autiste, initier une action, c’est :
scanner l’environnement : “Quelles sont mes options ?”
choisir : ce qui implique un effort de décision, parfois très coûteux.
agir : sans être sûr que c’est “correct” ou attendu.
et parfois, gérer l’incertitude ou la frustration qui suit.
Tout ça fatigue énormément, surtout si ce n’est pas encore automatisé.
👉 Cela explique peut-être pourquoi les enfants autistes se laissent volontiers guider :
non seulement ça réduit l’incertitude,
mais ça leur épargne aussi l’effort de décision.
Et comme je l’entends souvent des parents :
« Après la séance, il est crevé. »
Ce n’est pas parce que je le fais “travailler” sans arrêt. Bien souvent, nous faisons simplement des activités de la vie quotidienne. La différence, c’est que je demande aux parents de ralentir et d’attendre l’initiative de leur enfant. Et c’est cela qui est fatigant : réfléchir, choisir, décider.
C’est ce que certains chercheurs appellent la charge cognitive accrue : beaucoup de petites décisions ou changements qui paraissent “faciles” pour nous demandent, pour ces enfants, un effort considérable.
Alors je me dis que si parents et enfants adoptent si vite le schéma “je guide / il se laisse guider”, ce n’est peut-être pas seulement parce que cela va plus vite pour l’adulte. C’est aussi parce que, pour l’enfant, se laisser guider est une stratégie d’économie d’énergie.
Et c’est logique : en se laissant guider, il garde de l’énergie pour le reste de la journée.
👉 Voilà pourquoi notre travail (attendre, structurer, simplifier les choix, valoriser les petites initiatives) est si précieux :
il apprend à l’enfant à oser faire,
tout en respectant son rythme et son énergie.
Quand je vois que l’enfant commence à être fatigué, je lui apprends à ranger l’activité et/ou à demander une pause. Puis j’attends qu’il retrouve de l’énergie.
Et si vous voulez aller plus loin
Dans le VB-MAPP, l’un des obstacles identifiés est justement la dépendance à la guidance.
C’est exactement ce que nous travaillons quand nous aidons un enfant à développer ses prises d’initiatives.
Ma formation sur le VB-MAPP a commencé vendredi soir, mais il reste encore 3 soirées, et vous pouvez toujours vous inscrire. Vous aurez accès à toutes les replays, donc rien n’est perdu !
Comme vous le savez, on aime beaucoup les feuilles de route (plutôt que le mot “procédures” 😉). J’ai donc rédigé une feuille de route claire et progressive pour façonner la prise d’initiatives chez les enfants autistes.
C’est un outil concret que je partage pendant la formation, pour vous aider à structurer vos accompagnements au quotidien.
On regardera également la session a table avec Ellias, ainsi que pleins d'autres enfants de différents niveaux.
👉 Si vous souhaitez nous rejoindre, c’est encore possible : https://www.carolinepeters.fr/joueretcommuniquer
choisissez "VB-MAPP" et vous pouvez vous inscrire uniquement pour cette formation sans vous inscrire aux 3 autres.
Certification BCBA
#: 1-14-16
Certifiée par le BACB depuis 2014.
ACE provider #: IP-25-11837
Certification RDI
Certifiée consultante RDI
depuis 2022.
Adresse
47 Route de la Grange aux Moines
78460 CHOISEL
FRANCE
Contact
caroline@aba-instituut.nl